dimanche 1 décembre 2013

l'ardoise de Magdeleine



- Tout le monde le suit maintenant, affirme Emeline. Il est vrai qu'avec l'aide de Monsieur Jacques, ils ont tous deux organisé les actions. »
En effet, chaque paroisse a depuis lors le chef qu'elle s'est choisi. Nous avons des caches partout dans les bois : caches d'armes, caches de vivres, sans compter les autres, celles qui nous sont inconnues, mais où nos prêtres savent trouver asile... En plus de cela, ils ont débaptisé les lieux-dits et chacun de nous tient un rôle. Oui, le berger est devenu guetteur, le mendiant est un espion. Nous, les femmes, en allant bavarder les unes chez les autres, nous portons les messages. Allons, je pense qu'Hilaire ne pas plus tarder, aussi vais-je rentrer. Bonsoir Magdeleine... Mais pourquoi Canon grogne-t-il ainsi ? A ce moment, on entend des bruits au dehors. Tout près, quelqu'un se plaint, se traîne...



Magdeleine souffle sur la chandelle de l'oribus, fiché au montant de la cheminée. Seul, le feu éclaire la pièce. Les deux femmes frissonnent, craignant le pire. A l'extérieur, on se relève, on retombe lourdement en laissant échapper un cri. C'est sûrement un blessé, mais, ami ou ennemi ?



La fileuse rallume la chandelle, vertement tancée par Emeline. Quand elle veut se diriger vers la porte, celle-ci la retient : Es-tu folle ? Tu vas nous faire tuer ; arrête-toi, malheureuse ! Emeline recule dans le coin le plus obscur de la pièce, épouvantée de voir sa sœur retirer la lourde barre de bois qui condamne l'ouverture de la maison, ouvrir et descendre dehors. Muette de peur, la courageuse jeune femme distingue à ses pieds un Pataud, un soldat républicain en uniforme. Celui-ci la regarde, le fusil encore à la main. Curieusement Canon n'a pas aboyé. Descendu sur les talons de sa maîtresse, il flaire l'homme à terre. L'ennemi est visiblement blessé à la jambe.






La fileuse se penche, rapidement s'empare de l'arme et la dissimule dans la haie. Elle remonte chez elle, saisit un écheveau de chanvre et revient auprès de l'inconnu qui a perdu connaissance.



Emeline, d'en haut, s'indigne :



« - Tu es folle ! Si les Bleus arrivent, ils nous tueront ; si des Chouans d'ailleurs nous tombent dessus, ils nous tueront aussi ! »



Magdeleine, après avoir passé l'écheveau sous les deux bras du blessé, le hisse péniblement dans la maison sous les imprécations de sa sœur. Elle l'allonge devant l'âtre, plie une couverture, et la glisse sous la tête du soldat, puis elle lui fait couler entre les lèvres quelques gouttes d'eau de vie. L'homme revient à lui et, se levant à demi, cherche où est son arme.



« - Tout doux, citoyen ! Tu n'es pas chez des amis, seulement chez des chrétiens qui ne peuvent pas laisser un blessé sans soin. »



Magdeleine s'exprime en patois, bien entendu ; le Pataud semble cependant avoir compris que, pour le moment, il est en sécurité. Il montre sa jambe qui est déjà très enflée, c'est une fracture certainement, mais ses jours ne sont pas en danger.



« - Tu es vraiment folle, répète Emeline tout en se dirigeant vers la porte. »



A peine l'a-t-elle ouverte, qu'entre Hilaire suivi de celui qu'elles reconnaissent tout de suite pour Jambe d'argent. Le maître de maison a, le premier, aperçu le soldat couché devant l'âtre.  En deux mots, il est mis au courant de la situation. Emeline veut prendre les deux hommes à témoin de l'inconséquence de Magdeleine.



« - M'est avis, dit Louis Tréton, que je la voudrais bien pour sœur. C'est une vraie chrétienne assurément. »



Puis, se tournant vers Hilaire qui a compris et regarde d'un air navré la marmite d'où s'échappe l'odeur d'une si bonne soupe :



« - Allons, terminons la besogne ; les Bleus cantonnent à l'entrée de Cossé, nous le déposerons dans les parages. »



A ce moment, Emeline, qui a renoncé à se faire entendre, décide de rentrer chez elle. Les deux chouans, à l'aide d'une couverture et de deux fertés, ont vite fait de confectionner une civière et d'y étendre le Pataud. Le trio s'en va dans la nuit, laissant Magdeleine seule au coin de son feu, où elle égrène son chapelet, en priant Dieu que cette équipée se termine bien.



Notre héroïne remet du bois, tisonne un peu et ne cesse de confier les deux mainiaux, si courageux, à la Bonne Vierge, aux Anges, à tous les Saints... Elle est incapable de travailler, elle hésite à retirer la marmite du foyer, puis, finalement, l'enlève et la pose devant les braises.



C'est alors que Canon dresse à nouveau les oreilles, et grogne devant la porte... Le fait est qu'il se passe quelque chose dehors. Ah ! Non ! Ce n'est, pas possible ! C'est un gémissement, un appel... Son cœur s'affole dans sa poitrine. C'en est trop pour cette nuit... Ses mains tremblent. Ouvrir ? Sûrement pas ! Elle a épuisé tout son courage... Le chien grogne, quelqu'un se traîne sur les marches. Au secours, mon Dieu, au secours !



Magdeleine fait un grand signe de croix, et se décide. Elle prend une chandelle. Encore une fois, elle soulève le lourd épar ; encore une fois, elle ouvre la porte, et se penche au dehors en retenant son chien : un corps est allongé au pied de la maison.


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