jeudi 28 novembre 2013

LA PETITE ÉMIGRÉE (conte)







Agée seulement de dix-huit ans en 1793, que n'a-t-elle pas souffert, cette petite Françoise, depuis la terrible attaque de Saint-Fulgent !



Les Mayençais dévastent alors son pays, pillent métairies, châteaux, villages. Les habitations sont incendiées, la population menacée. II est vrai que la Convention s'est juré de terminer la guerre pour le 20 octobre de cette année-là et d'anéantir tous les Vendéens.

Françoise sait que ses parents n'ont pas survécu à la fureur des Bleus. La famille qu'elle sert ne lui a pas raconté la mort des siens, précipités vivants dans un puits, avec des dizaines d'autres victimes. Elle a appris son malheur d'une autre servante.

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La constitution civile du clergé fut massivement rejetée par la population, ce qui souda les communautés. Les autorités révolutionnaires interdisent au clergé existant de pratiquer le culte. Les prêtres non jureurs sont obligés de se cacher et s'ils sont pris, déportés au bagne en Espagne. Le nouveau clergé constitutionnel n'arriva pas à s'imposer.

Le mécontentement se transforma en insurrection en mars 1793 quand la Convention ordonna une "levée" de 300.000 hommes pour aller combattre les ennemis de la Nation.

L'insurrection était emmenée par la noblesse locale (Charette, d'Elbée, Lescure, La Rochejaquelein) et quelques roturiers (Stofflet et Cathelineau) au cri de "Pour Dieu et pour le Roi". Les paysans composaient l'essentiel des troupes réunies sous le titre de l'Armée catholique et royale.




Cette armée est peu centralisée, mal équipée et non permanente, les paysans retournant sur leurs terres dès qu'ils le pouvaient après les combats. Pour assurer la cohésion de l'ensemble, leurs chefs élisent Cathelineau généralissime. La stratégie des combats s'organise autour des atouts que procure le bocage, partout présent : composé de haies et de chemins creux, il facilite les opérations d'embuscade et gêne la manœuvre des grandes unités de l'armée révolutionnaire.

Les premières opérations sont un succès pour les Blancs : prise de Cholet, Clisson et Fontenay, puis Thouars et Saumur, enfin Angers. Mais en juin, ils échouent à prendre Nantes et Cathelineau est tué, remplacé par d'Elbée. Devant les succès des contre-révolutionnaires et par crainte de contagion, la Convention réagit vivement et envoie des troupes fraîches, les "Bleus", conduits par Kléber, Marceaux et Cancleaux.



Battus à Cholet le 17 octobre et leur chef gravement blessé, les Vendéens décident alors de s'allier à la Chouannerie et d'aider des renforts anglais à débarquer sur les côtes de la Manche. En une nuit, le 18 octobre, La Rochejacquelein, le nouveau généralissime, fait traverser la Loire à toutes ses troupes, accompagnées de civils, femmes et enfants, soit entre 60.000 et 100.000 personnes. C'est le début de la "Virée de Galerne" …



En route pour Granville, il est rejoint en Mayenne par Jean Chouan à la tête d'environ 6.000 hommes. Mais mal soutenue par une population locale aussi pauvre qu'elle, la troupe s'épuise et perd beaucoup d'hommes.

À Granville, aucun bateau anglais n'attend les insurgés et la ville, républicaine, se défend vaillamment. La troupe repart alors en sens inverse.


Epuisée moralement et amoindrie (il ne reste que 40.000 personnes), elle perd une bataille au Mans le 13 décembre. Les 15.000 survivants se font tailler en pièce à Savenay près de Nantes le 23 décembre, seules quelques centaines d'entre eux parviendront à retraverser la Loire.

Dans son rapport au Comité de salut public, le général François-Joseph Westermann indiquait notamment :

« Il n’y a plus de Vendée ! Elle est morte sous mon sabre, avec ses femmes et ses enfants ; je viens de l’enterrer dans les bois et les marais de Savenay ; je n’ai pas un prisonnier à me reprocher ; j’ai tout exterminé ; les routes sont semées de cadavres ; la pitié n’est pas révolutionnaire. »

Ce passage, resté célèbre, lui valut le surnom de « boucher de la Vendée ».

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Devant les colonnes infernales, il n'y a plus qu'à fuir. L’adolescente suit ses maîtres au milieu d'un groupe de paysans.

On connaît à peu près les mouvements des Bleus : de jeunes garçons se faufilent partout, en éclaireurs.

Tous sont en route derrière les hommes de leur armée. La cohue est impossible à décrire. C'est l'exode, avec vieillards, femmes, enfants. On pousse, on traîne des voitures-à-bras trop chargées, ou bien l'on s'accroche à des charrettes rebondissantes, attelées de bœufs récalcitrants ou de chevaux peu habitués à ce genre de déplacements.

Pour la première fois, Françoise rencontre des "Chouans", ceux que l’on surnomme aussi "les peaux de biques". Leur accoutrement explique cette appellation ; ils portent en effet sur leurs vestes des peaux de chèvres, à longs poils.

 La jeune fille remarque aussi les culottes recouvertes, des genoux aux chevilles, de guêtres d'étoffe grossière. Les têtes disparaissent sous de grands chapeaux ronds, en cuir durci par les intempéries.

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Après cette trop fameuse "virée de Galerne", Les Chouans refusent ensuite d'obéir à leurs chefs, ceux-ci acceptent le retour vers Angers. Personne n'avance plus... Non seulement il y a des blessés, mais la dysenterie fait des ravages. Des fièvres multiples secouent les organismes affaiblis.



La route est jalonnée de cadavres par épuisement. Certains quittent le gros de la troupe, et prennent des chemins de traverse. C'est ainsi que notre petite Françoise se retrouve, à bout de forces, en direction de Mayenne, le 23 novembre 1793.

Un paysan brutal la frappe de deux coups de pelle... Pourquoi ? Obligée par lui de prendre la route du Ribay, elle est aperçue, peu après, par un voiturier charitable, qui lui fait une place à côte de lui. Il la dépose dans une auberge. Monsieur Thuault, maire révoqué du Ribay, se trouve là. Il emmène la jeune fille au village de Coulion ; sa femme la soigne et se prend d'affection pour elle.

Françoise manifeste à ses bienfaiteurs une reconnaissance filiale et les considère comme ses nouveaux parents. Elle ne parle pas de son terrible passé. Quand on la questionne, elle dit qu'elle a pardonné puisque, ajoute-t-elle, ses prières sans pardon ne prendraient pas le chemin du Ciel.


Hélas ! Tout finit par se savoir. Mahé, curé intrus, apostat, du Ribay, mis au courant, dénonce la réfugiée. Il se venge ainsi de celui qui, chassé de la mairie du Ribay par les autorités nouvelles, s'est opposé à son installation.

Le 2 mars 1794, les gendarmes, porteurs d'un mandat d'arrêt, signé de Marat-Rigaudière, de Lassay, font irruption à Coulion.  Françoise n'est pas étonnée. Elle a souvent murmuré : la Loi me condamne, je mourrai. Elle a le temps de persuader Julien Thuault de s'enfuir. Ensuite, elle suit les gendarmes avec résignation.

Le 4 mars, la commission révolutionnaire se réunit à Lassay autour de Volcler, accusateur public. Le lendemain, la jeune fille est condamnée à mort...

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Tous ceux qui ont pu l'apercevoir sont pris de pitié. Sa beauté et sa candeur évidentes émeuvent même Marat-Rigaudière. Il imagine de la sauver et se rend à la prison. Quand il arrive, Françoise est à genoux sur le sol, en train de prier. Il lui suggère alors de dire qu'elle est enceinte. Notre héroïne proteste vigoureusement. Elle n'achètera pas sa vie du prix de son honneur, ni de celui du scandale qui rejaillirait sur ses bienfaiteurs. De plus, le mensonge lui fait horreur.

Elle supplie seulement qu'on ne fasse pas de mal à son père et à sa mère, ainsi appelle-t-elle maintenant Monsieur et Madame Thuault. Peu après, tandis qu'elle monte les marches de la guillotine, droite et recueillie comme si elle entrait à l'église, quatre femmes, que l'on a obligées à assister au supplice, voient ses lèvres remuer : la condamnée entonne le "Regina Caeli", cantique favori des armées vendéennes. Sans se concerter, toutes les quatre poursuivent intérieurement le psaume si tragiquement interrompu, elles le raconteront par la suite.




La mort de celle qu'on appelait "la petite émigrée" bouleversa toute la région. La « vox populi » la canonisa ; on parle de miracles obtenus par son intercession.


On raconte qu'il ne fallut pas moins de quatre chevaux pour conduire la légère dépouille jusqu'à "la lande des malheureux", sur la route de Thubœuf. Le petit enclos, aménagé ensuite, est toujours fleuri...

Un certain républicain, Mellin de Thionville, avait écrit au sujet des carnages de Vendée : « II faut ensevelir cette malheureuse action. N’en parlez pas à la Convention. Les brigands n'ont pas le temps d'écrire ou de faire des journaux. Cela s'oubliera comme tant d'autres choses. »

Eh bien, non ! On n'a pas oublié à Lassay. On y raconte toujours le martyre de Françoise Gaudérian, "la petite émigrée", victime de la Terreur, vendéenne au cœur pur et aimant, dont les derniers mots furent une prière, car elle avait encore pardonné.

Marguerite Collot
Inspiré de :

- Dictionnaire de la Mayenne, de l'abbé Angot,
- Petite histoire des guerres de Vendée, d’Henri Serviers,
- Bulletin du S.I. de Lassay.



4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ce récit .

j'ai caché, il y a longtemps déjà dans l'enclos de cette tommbe, une petite boîte en hommage à cette petite émigrée.

P d'E

Marguerite Collot a dit…



Merci à vous de me lire , cher p d'E

Unknown a dit…

Je me suis aussi intéressé à cette tragique histoire en relatant le conflit entre le curé et le maire du Ribay dans un spectacle joué devant une descendante de Julien Thuault.

Unknown a dit…

Je me suis aussi intéressé à cette tragique histoire en relatant le conflit entre le curé et le maire du Ribay dans un spectacle joué devant une descendante de Julien Thuault.