jeudi 23 janvier 2014

Suite du reportage ..;



- Au bout de combien de temps reveniez-vous au même endroit ?
-Tous les deux ans trois ans environ . Une fois, dans un petit pays se quatre cents habitants,nous sommes restés trois mois.Nous avons joué soixante-quinze pièces. Nous étions quatorze en ce temps-là.

-Aviez-vous des doublures?
-Ah,mais oui! Il n'y avait jamais d'arrêt pour cause de maladie.Un acteur pour prendre le relais du malade,pouvait apprendre un rôle en une nuit.
-Et les répétitions ?
-Tous les jours,à deux heures de l'après-midi.Nous nous étions couchés à deux ou trois heures du matin,souvent plus tard car énervés après le spectacle.On se couchait quand même avec nos cahiers de rôle.Les acteurs ont manqué pendant la guerre bien sûr. En 1915,tous les hommes étaient mobilisés.Toutes les femmes de l'immense famille pont été accueillies avec les enfants par le grand-père,à sa charge .
Alors,on a vendu des cartes postales,des crayons.Mère a chanté dans les rues.avec son violon.Cette guerre de 14 nous a vus à Flers,Domfront,Tinchebray,la Ferté-Bernard,la Ferté-Macé.Quand un homme arrivait du front,on lui donnait aussitôt son cahier de rôle et on disait:Demain,tu vas jouer .
Grand père était très dur avec les enfants.Il  les élevait dans l'honnêteté.
-Comment vous déplaciez-vous?
-Les caravanes ont d'abord été tirées par des chevaux,puis ils ont acheté des camions. Chaque famille de forains avait sa région. Une famille Créteur,par exemple,originaire du Nord,circulait dans le centre de la France,la Seine-etMarne et le Loiret.Une famille du théâtre ambulant pouvait s'installer à trente Kilomètres de Paris et faire recette. Les Montanari,une autre famille,avait cinq enfants qui ont fondé cinq théâtres .

Grand-père a gardé dix enfants,ils ont créé dix théâtres; cinq garçons ont eu un théâtre au nom de Cavalier. Pour les filles, Blanche a épousé un Créteur du théâtre Créteur. Lysa a épousé un Nouvellon et leur théâtre s'appelait le théâtre de l'Univers. Blanche circulait dans le Loiret et la Nièvre,l'Yonne,le loir-et-Cher et le Cher. Lysa peut-être aux environs de Paris, la Manche,la Mayenne et l'Orne . Charles voyageait dans l'ouest,Baptiste aux environs de Paris et dans l'Ouest,comme Roger et Marcel;Alphonse,je ne me souviens plus ...

-Vous aviez des employés ?
-Oui,on les employait à la semaine.On prenait un couple à l'essai pendant huit jours .
- Pardonnez-moi de vous poser cette question,tout ce monde ne savait sans doute pas lire ,
(hésitation)-Grand-père Cavalier était illettré. Il apprenait ses rôles avec sa femme.Madame,on ne tolérait pas un "cuir",(faute de prononciation)

-Grand-mère assurait la correspondance ?
-Oui,elle tenait aussi les comptes.Elle écrivait aux maires;Suivant la réponse,on faisait un premier voyage car il nous fallait un point d'eau,un point pour les toilettes.On payait un droit de place,à la journée ou à la semaine.Ou bien on donnait la recette d'une séance à la commune,ou encore une recette qui s'appelait dans certaines communes le " droit des pauvres". Sitôt qu'on savait marcher,parler,on montait sur scène. Chez nous,Madame,on ne trichait pas.Un décor pour chaque acte était fabriqué par la famille.Il ne fallait pas tromper les gens,il ne fallait pas tricher.

-Quel était le travail de la femme?
-Il lui fallait élever les enfants,s'occuper du linge,de la cuisine,repasser et entretenir les costumes qui étaient pour les plus beaux,achetés à Paris ou à Nantes.Pour "La Dame aux camélias",les acteurs principaux changeaient cinq fois de costume et ils étaient les parfaites copies des costumes d'époque.Les femmes devaient aussi coiffer les perruques.S'il y avait un repas sur scène,il était réel.Le mobilier était le mobilier familial.
-Et le travail de l'homme?
-C'était de fabriquer les décors,les poser,faire le tour de ville pour la "réclame",placer les spectateurs,s'occuper des rideaux et des lumières.Les femmes tenaient aussi la caisse et vendaient des bonbons.
-Vous parliez de lumière,mais comment grand-père éclairait-il son théâtre?
-La dernière génération a connu les lampes à acétylène;Dans les années 30 c'était encore l'acétylène .
-Vous ne voyagiez pas en hiver ?
-Mais si,en toute saison et toujours un mois et demi au moins par commune. Les grand-parents sont restés une fois trois mois à Evron qu'ils qualifiaient de petit pays   merveilleux .

-Mais dans la caravane,vous vous chauffiez ?
-Oui,nous avions une cuisinière à charbon.On en emportait peu avec nous car on en trouvait partout .

En 1970,ce fut la fin du théâtre. M.Cavalier avait vu d'autres forains marionnettistes.Il apprit donc à fabriquer des marionnettes en bois .Il eut d'abord beaucoup de mal,puis ce fut la réussite.C'était le théâtre de Guignol,il écrivait lui-même les pièces.Cela a duré quatre ans,puis il a abandonné et ses marionnettes ont été données au musée du Théâtre ambulant et de la marionnette d'Arquenay,dans le Loiret.
 Puis ce furent les marionnettes à gaine.Il en rêve encore.De vrais costumes. Encore là,il ne fallait pas tricher. Mme Cavalier s'est d'abord inspirée des costumes de scène de la troupe,puis a acheté un livre descriptif:le grenadier a un vrai costume de grenadier. Il a vingt cinq mille centimes de boutons sur lui!

  Après avoir circulé en Creuse à bicyclette avec ses marionnettes en bois,M Cavalier a donné des spectacles dans les écoles,sa femme et lui manœuvrant les marionnettes à gaine. Dès e départ, les instituteurs ont refusé le nom de Guignol (péjoratif) et l'ont remplacé par Martial. Ils ont tourné ainsi pendant quinze ans. Puis ils sont revenus en Mayenne.Madame

 Cavalier ne pouvant plus l'aider,les marionnettes à gaine étant trop lourdes.

Monsieur et Madame Cavalier ont encore quelques beaux costumes pour leur rappeler les temps heureux du théâtre ambulant. Pour ce qui est de tous les cahiers de rôle,ils ont été brûlés de rage, de colère et de Chagrin. Ils ont été les derniers à arrêter.

 Ces dernières années,un étudiant de Nanterre qui est maintenant professeur,a fait une thèse sur le théâtre ambulant et les marionnettes? C'est bien ! mais il y manque quelque chose d'irremplaçable :le public.


 Pour la circonstance,un film a été tourné par les Cavalier à Bonchamp.Ils n'avaient pas joué ensemble depuis dix-sept ans !Ce film fut présenté devant une poignée de personnes en 1985.

quant à l'extérieur de l'ancien théâtre Cavalier,il a été vendu au spectacle de Lassay qui en a fait un costumier .

 M et Mme Cavalier me raccompagnent à la porte de leur caravane où ils vivent au rythme de leur ancien métier, dignes et discrets.

  J'ai vécu avec eux deux heures de souvenirs,évoquant cinq générations de mayennais.J'ai l'impression de quitter les coulisses du jamais plus .Un dernier regard en arrière. L'antenne de télévision est bien là,plantée sur la caravane.
Elle me nargue.Moi aussi je ressens ce soir la colère,la rage et le chagrin.

Nb: le théâtre ambulant gagnait bien sa vie ; Les grands-parents avaient épargné pour une retraite heureuse .

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore une fois merci, Marguerite, pour ce travail de sauvegarde.
Vraiment très intéressant.
Amicalement

P d'E

Marguerite a dit…



Merci P D'E

Anonyme a dit…

Bonjour, je suis le petit fils de Raymond et Sonia Cavalier. Quand avez vous fait cette rencontre avec eux ?