Toute
la famille respira quand un quinquagénaire proposa de lui trouver une
habitation près de chez lui .Il faut dire que ce fils aîné de l’ancien jeune
ménage évoqué plus haut avait toujours été le préféré d’Eliane.
Cette installation fut un succès,
malheureusement ce frère apprécié de tous ses proches, quitta ce monde assez
rapidement, regretté unanimement..
C’est un élément modérateur qui s’en allait
avec lui.
J’ai
évoqué plus haut l’arrivée d’Eliane en ce bas-monde (l’expression n’aurait pas
existé qu’elle l’eût inventée), la fessée post natale lui restait viscéralement
en mémoire.
En vieillissant, elle se mit à exécrer le
genre humain, dans son entier.
Encore
pleine d’ardeur pour crier haut et fort ses convictions de calamités
prochaines, et punitives, elle se découvrit un talent épistolaire torrentiel,
et inonda son village d’abord de missives enflammées, et tous les alentours de
revues spécialisées dans les prophéties.
Elle
finit par se mettre en tête que du maire du pays au cantonnier, tous faisaient
partie d’une secte dangereuse.
L’ensemble du village, ne s’en émut pas trop,
après tout, elle ne troublait pas l’ordre public, mais en vint tout de même par
se lasser de ses discours véhéments et de ses accusations tous azimuts
Les aînés du bourg n’ont pas oublié son
intervention intempestive au milieu de leur belote.
Elle ne fut plus conviée au repas des
anciens, qui, il faut le dire, attribuait à son âge ses délires verbaux, ou
épistolaires.
Les années passant, les uns et les autres
n’osèrent plus la fréquenter .Ils se bornaient simplement à demander des
nouvelles au neveu qui s’occupait d’elle.
Il l’emmena des années durant faire ses courses,
dans un petit supermarché voisin, accompagné parfois par un vieux garçon, ancien
tailleur, qui, s’il ne participait pas à l’essence, payait son escapade en subissant
les homélies d’Eliane.
Les visites dans les magasins auraient pu
inspirer un metteur en scène, car, si le neveu était au supplice, le personnel,
en voyant arriver le trio ou le duo, cherchait à faire la pause pour assister
au spectacle.
La caissière était à voix haute soupçonnée de
tromperie, le marchand de vêtements ne pouvait qu’utiliser ses cabines
d’habillement pour provoquer des choses, des choses, elle n’avait pas besoin
d’en dire plus.
Inutile de faire venir un plombier, sans qu’il
ne soit sous haute surveillance de même pour n’importe quel artisan.
Le
grand âge venu, elle se mit à vivre dans le noir, à s’abstenir de se chauffer
convenablement, ce qui lui valut plusieurs séjours à l’hôpital.
Eliane finira bien par disparaître,
malheureusement.
Elle représente un personnage peu commun.
Née en 1912, elle en est restée aux années
d’entre deux guerres.
Quand
sa porte se refermera pour la dernière fois, toute une époque disparaîtra avec
elle. Sa personnalité peu commune hantera les réunions de famille. On
dira : Vous souvenez-vous de Tante Eliane ?
Les
anecdotes pittoresques pourront se succéder, finalement quelqu’un murmurera,
c’est drôle, mais elle nous manque déjà, et avec un brin de mélancolie, on
ajoutera, elle aurait pu certainement être heureuse.
Pour
quoi est-elle passée à côté du bonheur ? Alors chacun croira entendre
retentir son rire célèbre, sa voix un peu criarde sans oublier toutefois les
sourires qu’elle adressait aux nouveaux nés de sa parentèle accompagnés de
cette phrase inquiète : Qu’est-ce que la vie te réservera adorable petit
bout de chou ?
Cette
maternité qu’elle n’a pas connue, cet amour conjugal dont elle a été frustrée
ont peu à peu forgé cette personne pittoresque. Il faut de tout dans les
familles, on ne regrette pas de l’avoir connue .
Il se trouvera bien un neveu pour au cours du
repas d’enterrement (comme l’on sait, il débute dans le recueillement, puis la
joie de se retrouver en famille déride peu à peu l’atmosphère) il se trouvera
bien, dis-je, un petit malin pour rappeler d’autres souvenirs. Voyons un
peu :
Alors à la tête, avec son frère de
l’entreprise de machines à écrire, l’ordinateur arriva sur le marché.


Tante
Eliane en fit une dépression que son frère, toujours aussi impavide, subit sans
broncher.
Cet appareil devint pour elle un suppôt du
diable doué de pouvoirs monstrueux et maléfiques.
Elle
mit tout dans le même sac, les ordinateurs, les soucoupes volantes, les martiens,
qu’elle appelait "les gens d’en haut" et, pour faire bonne mesure,
y ajouta les juifs !
Elle prit les personnes du recensement pour
des gens du deuxième bureau.
Pour qu’on vienne l’interroger ainsi, il fallait,
bien entendu, qu’elle fût réputée, en haut lieu pour un personnage inquiétant et, peut-être à éliminer.
Pendant plusieurs jours, elle prit le métro,
coiffée d’un chapeau à larges bords, les yeux cachés par des lunettes noires,
et emprunta plusieurs correspondance avant d’aboutir à "Bonne Nouvelle " .
Revenue en province, elle n’oublia pas à
Paris ses marottes, et voilà pourquoi, ils atterrirent tous à C : les
soucoupes volantes, les martiens, les gens de sectes diverses, et les juifs qui
pour la première fois sûrement se trouvaient mêlés à une population
certainement pas anti sémites.
Tous les ingrédients du sac devaient s’agiter
comme des grelots dans sa tête.
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