vendredi 22 novembre 2013

L'étrange vie de Tante Eliane (suite)



Toute la famille respira quand un quinquagénaire proposa de lui trouver une habitation près de chez lui .Il faut dire que ce fils aîné de l’ancien jeune ménage évoqué plus haut avait toujours été le préféré d’Eliane.
 Cette installation fut un succès, malheureusement ce frère apprécié de tous ses proches, quitta ce monde assez rapidement, regretté unanimement..
 C’est un élément modérateur qui s’en allait avec lui.
J’ai évoqué plus haut l’arrivée d’Eliane en ce bas-monde (l’expression n’aurait pas existé qu’elle l’eût inventée), la fessée post natale lui restait viscéralement en mémoire.
 En vieillissant, elle se mit à exécrer le genre humain, dans son entier.
Encore pleine d’ardeur pour crier haut et fort ses convictions de calamités prochaines, et punitives, elle se découvrit un talent épistolaire torrentiel, et inonda son village d’abord de missives enflammées, et tous les alentours de revues spécialisées dans les prophéties.
Elle finit par se mettre en tête que du maire du pays au cantonnier, tous faisaient partie d’une secte dangereuse.
 L’ensemble du village, ne s’en émut pas trop, après tout, elle ne troublait pas l’ordre public, mais en vint tout de même par se lasser de ses discours véhéments et de ses accusations tous azimuts
 Les aînés du bourg n’ont pas oublié son intervention intempestive au milieu de leur belote.
  Elle ne fut plus conviée au repas des anciens, qui, il faut le dire, attribuait à son âge ses délires verbaux, ou épistolaires.
 Les années passant, les uns et les autres n’osèrent plus la fréquenter .Ils se bornaient simplement à demander des nouvelles au neveu qui s’occupait d’elle.
 Il l’emmena des années durant faire ses courses, dans un petit supermarché voisin, accompagné parfois par un vieux garçon, ancien tailleur, qui, s’il ne participait pas à l’essence, payait son escapade en subissant les homélies d’Eliane.
 Les visites dans les magasins auraient pu inspirer un metteur en scène, car, si le neveu était au supplice, le personnel, en voyant arriver le trio ou le duo, cherchait à faire la pause pour assister au spectacle.
 La caissière était à voix haute soupçonnée de tromperie, le marchand de vêtements ne pouvait qu’utiliser ses cabines d’habillement pour provoquer des choses, des choses, elle n’avait pas besoin d’en dire plus.
 Inutile de faire venir un plombier, sans qu’il ne soit sous haute surveillance de même pour n’importe quel artisan.
Le grand âge venu, elle se mit à vivre dans le noir, à s’abstenir de se chauffer convenablement, ce qui lui valut plusieurs séjours à l’hôpital.
 Eliane finira bien par disparaître, malheureusement.
 Elle représente un personnage peu commun.
  Née en 1912, elle en est restée aux années d’entre deux guerres.
Quand sa porte se refermera pour la dernière fois, toute une époque disparaîtra avec elle. Sa personnalité peu commune hantera les réunions de famille. On dira : Vous souvenez-vous de Tante Eliane ?
Les anecdotes pittoresques pourront se succéder, finalement quelqu’un murmurera, c’est drôle, mais elle nous manque déjà, et avec un brin de mélancolie, on ajoutera, elle aurait pu certainement être heureuse.
Pour quoi est-elle passée à côté du bonheur ? Alors chacun croira entendre retentir son rire célèbre, sa voix un peu criarde sans oublier toutefois les sourires qu’elle adressait aux nouveaux nés de sa parentèle accompagnés de cette phrase inquiète : Qu’est-ce que la vie te réservera adorable petit bout de chou ?
Cette maternité qu’elle n’a pas connue, cet amour conjugal dont elle a été frustrée ont peu à peu forgé cette personne pittoresque. Il faut de tout dans les familles, on ne regrette pas de l’avoir connue .

 Il se trouvera bien un neveu pour au cours du repas d’enterrement (comme l’on sait, il débute dans le recueillement, puis la joie de se retrouver en famille déride peu à peu l’atmosphère) il se trouvera bien, dis-je, un petit malin pour rappeler d’autres souvenirs. Voyons un peu :
 Alors à la tête, avec son frère de l’entreprise de machines à écrire,  l’ordinateur arriva sur le marché.
 
Tante Eliane en fit une dépression que son frère, toujours aussi impavide, subit sans broncher.
 Cet appareil devint pour elle un suppôt du diable doué de pouvoirs monstrueux et maléfiques.
Elle mit tout dans le même sac, les ordinateurs, les soucoupes volantes, les martiens, qu’elle appelait "les gens d’en haut" et, pour faire bonne mesure, y ajouta les juifs !
  Elle prit les personnes du recensement pour des gens du deuxième bureau.
Pour qu’on vienne l’interroger ainsi, il fallait, bien entendu, qu’elle fût réputée, en haut lieu pour un personnage  inquiétant et, peut-être à éliminer.
 Pendant plusieurs jours, elle prit le métro, coiffée d’un chapeau à larges bords, les yeux cachés par des lunettes noires, et emprunta plusieurs correspondance avant d’aboutir à "Bonne Nouvelle " .
   Revenue en province, elle n’oublia pas à Paris ses marottes, et voilà pourquoi, ils atterrirent tous à C : les soucoupes volantes, les martiens, les gens de sectes diverses, et les juifs qui pour la première fois sûrement se trouvaient mêlés à une population certainement pas anti sémites.
 Tous les ingrédients du sac devaient s’agiter comme des grelots dans sa tête.


Aucun commentaire: