La petite
église ne peut contenir tout le monde.
La famille proche du défunt a réservé la moitié de la nef.
Les autres bancs ont été assiégés par tout ce que le
département compte d’aristocratie, de haute bourgeoisie.
On y trouve encore tous ceux qui ne manquent jamais un
enterrement huppé, ne serait-ce que pour apposer leur paraphe sur le registre
exposé à l’entrée .Ils recevront ainsi leur carton de remerciements preuve qu’ils
en étaient. Ces précieux documents ont
leur place dans un dossier, de telle manière qu’ils rendent incollable
cette sorte de collectionneurs sur la généalogie de ceux qui, ainsi les appelle Madame de
Sévigné
portent un nom, les seuls, à cette époque, dignes de figurer sur la liste des « tombés au
champ d’honneur «
Les temps ont changé, heureusement, mais la course à
l’intégration au sein d’un milieu qu’on
envie, se poursuit de toutes les façons.
Jusqu’après la deuxième guerre mondiale, il suffisait d’être
un gros propriétaire terrien pour
avoir le droit de chasser, divertissement toujours
considéré comme royal, si bien que l’élément masculin fréquentait, sans
vergogne tous ceux qui portaient la particule.
Je m’aperçois que je m’égare, et que je suis loin de la
cérémonie qui nous occupe.
Elle n’a pu profiter des privilèges ordinaires aux mariages
.faute de temps.
Pour ces derniers, on a le temps de dénicher un prélat,
portant un nom de préférence.
Mais, les sépultures n’étant pas prévues des mois à
l’avance, il faut bien se rabattre sur le menu fretin du clergé local.
La foule des fermiers
et les petites gens se caseront où ils pourront, beaucoup stationneront
dehors. .
Comme à l’accoutumée,
ils se réfugieront dans le seul estaminet existant, où avec le personnel
des pompes funèbres, qui a l’habitude, ils attendront le moment de l’absoute.
A l’extérieur de la petite église, On laisse la place au
cortège qui bientôt s’arrête.
Six fermiers s’honorent de porter le cercueil, c’est la
tradition;
Ils se retirent ensuite.
Aussitôt, les places
réservées accueillent ceux qu’elles attendaient.
Le spectacle est assez déroutant pour un non habitué.
Le gratin départemental se distingue par sa tenue
vestimentaire .On est riche tout le monde le sait. Il y a des raisons pour
cela, on ne jette pas l’argent par les fenêtres, les métayers comprennent ainsi
que les réparations coûtent cher et qu’on
est écrasés d’impôts.
Leurs noms leur
suffisent comme parure.
Tout de même, il est
évident que les manteaux ont servi depuis des années, pour des cérémonies
identiques.
Les « bibis » indémodables, petits poufs ronds de
feutre noir, sont agrémentés, parfois, d’une voilette.
Les « sans chapeaux » ont sur la nuque le petit
chignon poivre et sel qui s’amenuise avec le temps.
Seul un cabochon de
diamant est toléré., et brille aux mains gauches ;
Tout cela a une signification : on est riche et cela se
sait.
Cette morgue sur les visages est significative.
Tandis qu’on
s’affaire à installer le catafalque, les cierges
etc. le clergé, réduit à l’ancien curé très âgé évoque celui
pour qui on est ici réunis.
On se compte, on se jauge, on recherche si les proches sont
bien tous là.
Les untel n’étaient –ils pas brouillés à mort ?
Il manque les A,
rien d’étonnant, la précédente succession a duré tellement longtemps que
d’autres décès se sont succédé .A plus tard « veau, vache, cochon,
couvée !
Dans l’assistance, le notaire est là. Évidement .il connaît
tous les héritiers .A quelles scènes va-t-il encore assister ?
Après le cimetière il ne se rendra pas, comme la plupart à
la réception qui suivra.
non pas que le verre d’orangeade et les petits biscuits
soient pour lui déplaire, mais
il a besoin de
respirer de l’air pur avant de rejoindre son étude.
Bien sûr il rédigera l’acte successoral, mais à combien de
coups de théâtres aura-t-il dû assister avant ?
Seul, un auteur dramatique de talent parviendrait à caser
toutes ces scènes en un même acte.
Lui-même, le seul qui monologue pour apaiser, expliquer,
sera aux yeux des autres acteurs
un simple figurant dont le rôle devrait se réduire à celui
d’exécutant, récalcitrant.
Dans la petite église
lui parviennent à l’oreille de courtes phrases.
lui parviennent à l’oreille de courtes phrases.
Les B. Auraient pu se déranger, on doit tout oublier devant la mort.
Au fait, combien sont-ils d’héritiers ?
La petite dame X est encore là. Elle n’en manque pas un. Gageons
que nous la retrouverons tout à l’heure à la réception. Elle arrive à
s’immiscer à celles des mariages .Quand les familles font les comptes, on
s’aperçoit qu’elle n’était pas attendue, mais que par contre, elle a participé
à la liste de cadeaux déposé au magasin..
Avez-vous vu R depuis longtemps ? ce sera bien tôt son
tour hélas ! Quelle mauvaise mine !
Dire que Y est là
avec son »amie » où va t on ?
Ils n’ont certainement pas eu le temps de repeindre leurs
volets, cette maison se délabre !
Combien de générations sont-elles en indivision dans cette
famille ?
Seuls les plus âgés,
durs d’oreille se tiennent droits, même si leurs pensées se détournent de temps
à autre du défunt
Un bref éloge de
« notre Monsieur » prononcé par l’adjoint au Maire achève
définitivement la cérémonie. Un passage au cimetière, court, puisqu’on y est
fort peu..La longue file de véhicules a déjà pris le chemin de le C. Autour
d’une orangeade et de quelques biscuits, les langues vont bon train .Comme pris
en faute, on s’arrête de temps en temps pour murmurer
On n’est pas grand-chose quand même ! Pourtant quel
vide maintenant !.Vous souvenez-vous de lui, souriant, nous recevant avec sa
gentillesse habituelle .Quel homme vieille France, c’était un seigneur
dans son genre, cultivé, courtois, toujours intéressant
Ceux-là n’ont visiblement rien à espérer de restes matériels...
Les autres
considèrent que la succession chez le notaire ne sera pas facile. Que ne
donneraient-ils pas pour assister, invisibles à ces joutes oratoires des uns et
des autres
Seul le malheureux tabellion déjà
conscient de son rôle ingrat de juriste pourra se souvenir
plus tard des rebondissements inattendus de cette affaire,
prolongeant la fermeture de la succession pendant des semaines, peut-être des années,
chacun trouvant plus grosse la part du voisin. . Dès le lendemain,
dans l’étude, ce ne sont plus des propos de nef, ni de
salon, mais ceux de maquignons et le langage de ces gens nobles et
distingués par définition, ressemble étrangement par le ton à des ordres destinés à
leurs "gens ".
Le notaire d’aujourd’hui
n’est plus le robin d’autrefois. Il ne fait plus partie du Tiers Etat.
Il ne peut s’empêcher de cingler : Voulez-vous prendre
ma place puisque vous semblez vous y connaître mieux que moi. ?
Il est préférable de fixer un autre rendez-vous ; Me
Maupas, l’ai-je déjà présenté ? est le dernier d’une longue lignée de
juristes. .Avant de reconduire la famille endeuillée, il presse un bouton sur
son bureau, son fondé de pouvoir apparaît : Vous avez dit Maître ?
Les doubles portes se
referment .Le premier chapitre est clos…Connaîtrons-nous la suite ?
Après leur départ, Me
Maupas se demande : Qui a dit cela déjà ?
‘On se console de l’ennui qu’on y éprouve par l’orgueil d’en
être « ? Je ne sais plus, mais les réunions mondaines auxquelles on me
prie sont d’un ennui ! Comme je suis nanti de quelques hectares de chasse,
cela me vaut sans doute une particule ….
2 commentaires:
oh; mais vous allez donc mieux ! et vous avez repris la plume- ou plutôt le clavier- pour notre plus grand plaisir !
élisa
J'ai fouillé dans mon ordi et trouvé cette vieille chronique, présentée d'une façon malhabile M Merci de ton petit mot, ma chère Elsa . Gros bisous
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