lundi 9 décembre 2013

" VOUS AVEZ DIT MAÎTRE ? " 'Chronique malicieuse "



                                     La petite église ne peut contenir tout le monde.
La famille proche du défunt a réservé la moitié de la nef.

Les autres bancs ont été assiégés par tout ce que le département compte d’aristocratie, de haute bourgeoisie.

On y trouve encore tous ceux qui ne manquent jamais un enterrement huppé, ne serait-ce que pour apposer leur paraphe sur le registre exposé à l’entrée .Ils recevront ainsi leur carton de remerciements preuve qu’ils en étaient. Ces précieux documents  ont leur place dans un dossier,  de telle manière qu’ils rendent incollable cette sorte de collectionneurs sur la généalogie  de ceux qui, ainsi les appelle Madame de Sévigné

portent un nom, les seuls, à cette époque, dignes  de figurer sur la liste des « tombés au champ d’honneur « 

Les temps ont changé, heureusement, mais la course à l’intégration  au sein d’un milieu qu’on envie, se poursuit de toutes les façons.

Jusqu’après la deuxième guerre mondiale, il suffisait d’être un gros propriétaire terrien pour

avoir le droit de chasser, divertissement toujours considéré comme royal, si bien que l’élément masculin fréquentait, sans vergogne tous ceux qui portaient la particule.

Je m’aperçois que je m’égare, et que je suis loin de la cérémonie qui nous occupe.

Elle n’a pu profiter des privilèges ordinaires aux  mariages  .faute de temps.

Pour ces derniers, on a le temps de dénicher un prélat, portant un nom de préférence.

Mais, les sépultures n’étant pas prévues des mois à l’avance, il faut bien se rabattre sur le menu fretin du clergé local.

La foule des fermiers  et les petites gens se caseront où ils pourront, beaucoup stationneront dehors. .

Comme à l’accoutumée,   ils se réfugieront dans le seul estaminet existant, où avec le personnel des pompes funèbres, qui a l’habitude, ils attendront le moment de l’absoute.

A l’extérieur de la petite église, On laisse la place au cortège  qui bientôt s’arrête.

Six fermiers s’honorent de porter le cercueil, c’est la tradition;  

Ils se retirent ensuite.

Aussitôt,  les places réservées accueillent ceux qu’elles attendaient.

Le spectacle est assez déroutant pour un non habitué.

Le gratin départemental se distingue par sa tenue vestimentaire .On est riche tout le monde le sait. Il y a des raisons pour cela, on ne jette pas l’argent par les fenêtres, les métayers comprennent ainsi que les réparations coûtent cher et qu’on  est écrasés d’impôts.

  Leurs noms leur suffisent comme parure.

 Tout de même, il est évident que les manteaux ont servi depuis des années, pour des cérémonies identiques.

Les « bibis » indémodables, petits poufs ronds de feutre noir, sont agrémentés, parfois, d’une voilette.

Les « sans chapeaux » ont sur la nuque le petit chignon poivre et sel qui s’amenuise avec le temps.

 Seul un cabochon de diamant est toléré., et brille aux mains gauches ;

Tout cela a une signification : on est riche et cela se sait.

Cette morgue sur les visages est significative.

 Tandis qu’on s’affaire à installer le catafalque, les cierges

etc. le clergé, réduit à l’ancien curé très âgé évoque celui pour qui on est ici réunis.


Mis à part les premiers rangs, un léger mouvement agite perceptiblement l’assistance.
On se compte, on se jauge, on recherche si les proches sont bien tous là.

Les untel n’étaient –ils pas brouillés à mort ?

  Il manque les A, rien d’étonnant, la précédente succession a duré tellement longtemps que d’autres décès se sont succédé .A plus tard « veau, vache, cochon, couvée !

Dans l’assistance, le notaire est là. Évidement .il connaît tous les héritiers .A quelles scènes va-t-il encore assister ?

Après le cimetière il ne se rendra pas, comme la plupart à la réception qui suivra.

non pas que le verre d’orangeade et les petits biscuits soient pour lui déplaire, mais

 il a besoin de respirer de l’air pur avant de rejoindre son étude.

Bien sûr il rédigera l’acte successoral, mais à combien de coups de théâtres aura-t-il dû assister avant ?

Seul, un auteur dramatique de talent parviendrait à caser toutes ces scènes en un même acte.

Lui-même, le seul qui monologue pour apaiser, expliquer, sera aux yeux des autres acteurs

un simple figurant dont le rôle devrait se réduire à celui d’exécutant, récalcitrant. 

 Dans la petite église
 lui parviennent à l’oreille de courtes phrases.

Les B. Auraient pu se déranger, on doit tout oublier devant la mort.
Au fait, combien sont-ils d’héritiers ?

La petite dame X est encore là. Elle n’en manque pas un. Gageons que nous la retrouverons tout à l’heure à la réception. Elle arrive à s’immiscer à celles des mariages .Quand les familles font les comptes, on s’aperçoit qu’elle n’était pas attendue, mais que par contre, elle a participé à la liste de cadeaux déposé au magasin..

Avez-vous vu R depuis longtemps ? ce sera bien tôt son tour hélas ! Quelle mauvaise mine !

 Dire que Y est là avec son »amie » où va t on ?

Ils n’ont certainement pas eu le temps de repeindre leurs volets, cette maison se délabre !

Combien de générations sont-elles en indivision dans cette famille ?

 Seuls les plus âgés, durs d’oreille se tiennent droits, même si leurs pensées se détournent de temps à autre du défunt

 Un bref éloge de «  notre Monsieur » prononcé par l’adjoint au Maire achève définitivement la cérémonie. Un passage au cimetière, court, puisqu’on y est fort peu..La longue file de véhicules a déjà pris le chemin de le C. Autour d’une orangeade et de quelques biscuits, les langues vont bon train .Comme pris en faute, on s’arrête de temps en temps pour murmurer

On n’est pas grand-chose quand même ! Pourtant quel vide maintenant !.Vous souvenez-vous de lui, souriant, nous recevant avec sa gentillesse habituelle .Quel homme vieille France, c’était un seigneur dans son genre, cultivé, courtois, toujours intéressant

Ceux-là n’ont visiblement rien à espérer de restes matériels...
Les autres considèrent que la succession chez le notaire ne sera pas facile. Que ne donneraient-ils pas pour assister, invisibles à ces joutes oratoires des uns et des autres  Seul le malheureux tabellion déjà conscient de son rôle ingrat de juriste pourra se  souvenir 
plus tard des rebondissements inattendus de cette affaire, prolongeant la fermeture de la succession pendant des semaines, peut-être des années, chacun trouvant plus grosse la part du voisin. . Dès le lendemain,

dans l’étude, ce ne sont plus des propos de nef, ni de salon, mais ceux de maquignons et le langage de ces gens nobles et distingués par définition, ressemble étrangement  par le ton à des ordres destinés à leurs "gens ".
                                  Le notaire d’aujourd’hui n’est plus le robin d’autrefois. Il ne fait plus partie du Tiers Etat.
Il ne peut s’empêcher de cingler : Voulez-vous prendre ma place puisque vous semblez vous y connaître mieux que moi. ?
Il est préférable de fixer un autre rendez-vous ; Me Maupas, l’ai-je déjà présenté ? est le dernier d’une longue lignée de juristes. .Avant de reconduire la famille endeuillée, il presse un bouton sur son bureau, son fondé de pouvoir apparaît : Vous avez dit Maître ?
 Les doubles portes se referment .Le premier chapitre est clos…Connaîtrons-nous la suite ?
 Après leur départ, Me Maupas se demande : Qui a dit cela déjà ?
‘On se console de l’ennui qu’on y éprouve par l’orgueil d’en être « ? Je ne sais plus, mais les réunions mondaines auxquelles on me prie sont d’un ennui ! Comme je suis nanti de quelques hectares de chasse, cela me vaut sans doute une particule ….
                                              



2 commentaires:

Anonyme a dit…

oh; mais vous allez donc mieux ! et vous avez repris la plume- ou plutôt le clavier- pour notre plus grand plaisir !
élisa

Anonyme a dit…

J'ai fouillé dans mon ordi et trouvé cette vieille chronique, présentée d'une façon malhabile M Merci de ton petit mot, ma chère Elsa . Gros bisous